matricule 53.628
« Un petit Français regarde bien en face ». Je me souviens, dès le premier regard sur cette affiche de propagande de 1942, extraite d’un ouvrage sur la vie quotidienne sous l’occupation, avoir lu une invitation à me pencher sans fausse pudeur sur mon identité française…
Le petit écolier de l’affiche me renvoie à l’élève de primaire que j’étais, photographié dans la classe de Monsieur B. à la rentrée de 1978. Un élève plutôt doué et paresseux, qui ne tarderait pas à chercher dans la fuite les moyens d’échapper à son histoire.
L’affiche est signée Bernard Aldebert. Je retrouve rapidement la trace d’un dessinateur du même nom, né à Saint-Étienne en 1909, connu après-guerre pour ses croquis humoristiques et frivoles. Bernard Aldebert est né quelques mois après mon grand-père Paul, ils mourront la même année en 1974. Diplômé des Beaux-Arts, Aldebert rejoint à Lyon un groupe de jeunes graphistes nommé Alain Fournier, en hommage à l’auteur du Grand Meaulnes. L’équipe se mettra au service du gouvernement de Vichy et produira, entre 1941 et 1944, 62 affiches de propagande vantant les mérites de la révolution nationale du maréchal Pétain.
Le 15 novembre 1943 la Gestapo arrête Bernard Aldebert. Le dessinateur est accusé d’être l’auteur dans le magazine Ric et Rac d’une caricature qui ridiculise Hitler. Il est déporté vers le camp de concentration de Buchenwald, transféré à Mauthausen, et finalement interné à Gusen 2. Il devient le matricule 53.628. Aldebert est un survivant. Il retrouve la France le 20 août 1945. Aldebert, témoin du cauchemar nazi, se met aussitôt à dessiner son expérience de la déportation. Il publie l’année suivante chez Fayard Gusen II, Chemin de croix en 50 stations. L’ouvrage passera largement inaperçu.
Mon grand-père Pierre n’a été ni collabo ni résistant. Mon grand-père Paul a été un peu les deux. Et me voilà, réceptacle involontaire et conscient de trajectoires complexes. Enfant d’une histoire française, fils de l’orgueil et de la honte, j’aimerais être ce petit garçon qui regarde bien en face.